Va toujours qui danse !
Jean-Baptiste Grécourt
Un beau jour, Tircis me trouva
Seule dans une plaine,
Et droit à ma joue, il s'en va
Pour y joindre la sienne,
Me disant : "Belle, c'est par là
Que le plaisir commence."
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
Dans le dessein de le gronder,
Je prends un ton farouche ;
Mais loin de s'en intimider,
Il me ferme la bouche,
Ses lèvres le drôle y colla
Pour m'imposer silence.
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
Cette façon m'ôte la voix,
Et ma langue importune ;
Pour la mettre aux derniers abois,
Des deux il n'en fit qu'une ;
Je me disais : "Qu'est-ce cela
Et quelle extravagance ?"
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
Plus amoureux et plus hardi,
Sur ma gorge naissante
Il promène, en jeune étourdi,
Une main insolente ;
J'eus beau lui répéter : "Holà"
Et faire résistance,
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
En me défendant de mon mieux
J'étais déjà bien lasse,
Lorsqu'au grand plaisir de ses yeux,
Mon gros lacet se casse :
Oh ! c'est alors que le voilà
Redoublant sa licence ;
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
La région de mon corset
Tout entière est sa proie,
Et ce pays doux et grasset
Il parcourt avec joie ;
Mais j'aperçois que par delà
Son autre main s'avance.
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
"Téméraire, arrête, où vas-tu ?
D'où te vient cette audace ?
De mon inflexible vertu
N'espère point de grâce."
En vain ma fureur lui parla,
Mes efforts il devance.
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
Ah ! grand Dieu, qui nous avez vus,
Pouvais-je mieux combattre ?
Mais de ses cinq doigts je ne pus
En subjuguer que quatre.
Un seul malgré moi s'installa :
Je pâme quand j'y pense.
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
Par bonheur, ma mère apparut,
Sans quoi j'étais perdue ;
Car, à la fin, mon cœur s'émut,
Je me sentais rendue
Le traître aussitôt détala
En grande diligence.
La re la, la re la, la la
Et va toujours qui danse !
in Choix de Chansons Galantes d'Autrefois (Paul Marion, Ed. H. Daragon, 1911)