À Paris...
Guillaume Apollinaire
À Paris dans la nuit tombante
La reine des belles du quai
O crinière écluse indolante
Quand son amant vient forniquer
Se change en cavale écumante
Ainsi par le désir trompé
L'amour subit quelques mécomptes
Pour s'être un jour émancipé
Fougeret de Montbron raconte
Qu'il fut changé en canapé (1)
Mais au Canapé des Pucelles
C'est encor d'amour qu'il s'agit
J'y ai vu deux pêches jumelles
Sous la soie le cul de Sylvie
Et deux oranges ses mamelles
Le soir en la mettant à l'aise
Ses clunes s'ouvrent sous mon dard
Et duvetée comme les fraises
Elle ressemble à un miroir
Dans une estampe japonaise
Barbe ou Brigitte soeurs jumelles
Voilà celles qu'il me faudrait
La rainure est dit-on chez elles
Plus grasse que du cassoulet
Et plus poivrée que les aisselles
Je les ai trouvées en chemin
Fredonnant une chanson grise
Mais dans leur bouche le refrain
S'est défait comme par surprise
Sous un baiser déjà lointain
Paris dort pris dans la couronne
Que lui font les filles perdues
Qui ne sont baisées par personne
Et que l'on trouve morfondues
Dans un cabinet de cretonne
Vénus breneuse (2) en pâmoison
A coups de cul tette une pine
Dont le parfum de venaison
Mêlé de marolle (3) et d'urine
Ferait bander buffle et bison
Mais chez Trostolle (4) où la pénombre
Est propice à la volupté
J'ai vu Désiderio Descombes (5)
Danser sur un fil argenté
Tout en piant la rose immonde
(1) référence à son Conte fantastique Canapé couleur de feu (1741)
(2) souillée d'excréments
(3) référence à un ancien quartier mal-famé de Bruxelles ?
(4) Julien Trostolle, fantaisiste du 17è
(5) médecin-dentiste charlatant du 17è
© Guillaume Apollinaire
in Le verger des amours (1924)
in Poésies libres de Guillaume Apollinaire (Ed. J-J Pauvert, 1978) - p.70-72