La chemise qui te voilait,
Lasse enfin du rôle impudique
Que ta pudeur lui conseillait,
À l'heure sainte et fatidique
S'est couchée à tes pieds d'enfant.
Alors ta gorge de faunesse
M'est apparue et, triomphant,
J'ai vu les splendeurs de jeunesse
Que ta chemise recélait.
J'ai vu, sur ta poitrine nue,
Deux jumeaux, deux frères de lait,
Enfants d'une belle venue.
Modernes, mais non décadents,
Gonflant leur rigité ronde,
Sans l'aide des corsets prudents
Sachant se tenir dans le monde ;
Marbre, satin, roc velouté,
Ils résolvaient ce grand problème :
- La douceur dans la fermeté, -
Dualité rare et suprême.
Dans l'amour du Bien et du Beau,
Baisant leur pente éburnéenne (1)
Du haut de ce double Nebo
Une terre chananéenne (2)
A déroulé devant mes yeux
Ses campagnes riches et grasses,
Et je vous adresse un joyeux
Cantique d'actions de grâces,
Hauteurs neigeuses où se fond
L'ennui des steppes et des plaines,
Trésors somptueux qui me font
Comme aux innocents les mains pleines.
Et lorsque, sur ta gorge en feu,
Ma soif d'aimer se désaltère,
Je songe, en remerciant Dieu,
Qu'ils n'en ont pas, en Angleterre !
(1) qui a l’apparence de l’ivoire
(2) le pays de Chanaan se contemple du mont Nébo en Jordanie
in Autour du Chat Noir (Ed. Grasset, 1926 - p.55-57)