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Cuisse où j'ai longtemps prétendu,
Plus ferme qu'un fort arc tendu,
Cuisse plus dure que le marbre,
Le soutien et le gros de l'arbre,
Cuisse sans qu'à, cuisse sans si,
Qui porte fleur, et fruit aussi,
Cuisse qui soutient la pelote -
Je n'oserais dire la motte -
Qui par nature est décorée
D'autre toison que la dorée ;
Ce n'est or, velours ni satin,
Mais d'un petit poil argentin
Plus délié que fine soie.
Cuisse mon bien, cuisse ma joie,
Cuisse qui sert de boulevard
Au pertuis si très peu couvert
Qu'on n'y pourrait avoir choisi
Qu'un bord de satin cramoisi.
Cuisse parfaitement taillée,
D'un fin émail blanc émaillée,
Cuisse qui n'a ni ride ni fronce
Mais bien convoiteuse semonce,
Qui vient sasir le poursuivant
De mettre la main plus avant.
Cuisse qui a la chaleur telle
Qu'à y toucher chose est mortelle,
Mortelle, qui jusqu'à mort dure.
Cuisse plus forte et trop plus dure
Que l'aimant qui le fer attire ;
Car tu trais (1) , et l'on ne retire
Sa main de toi sans maladie
D'y penser. Cuisse rebondie,
Cuisse refaite et bien plinière,
Cuisse qui n'est point héronnière (2),
Cuisse friande et cuisse ronde,
Cuisse la plus belle du monde,
Cuisse qui fait l'oeil émouvoir,
Cuisse qui fait Tétin mouvoir,
Cuisse qui fait parler la bouche,
Un temps avant que l'on te touche,
Cuisse qui fait la main servir,
Cuisse qui fait poursuivir.
Cuisse qui tout le corps supporte,
Cuisse qui garde et tient la porte
Au fort château de jouissance.
Cuisse qui a bien la puissance
De faire tendre et débander
Et incontinent rebander.
Cuisse qui fait, fait et défait,
Cuisse sans qui nul n'est bien fait.
Cuisse de qui le souvenir
Me fait souvent le goût venir
Mille ennuis et mille plaisirs,
Pour cent ébats, cent déplaisirs.
Cuisse en beauté la plus féconde,
Cuisse qui n'a point de seconde,
Cuisse de belle créature,
Cuisse, chef-d'oeuvre de nature.


(1)  attires
(2)  sec comme chez le héron
Cité in Les blasons du corps féminin, ouvrage collectif du XVIè s. (Rééd. illustrée par les Libraires Associés, 1963) -  p. 156