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Oh ! c'est toi ! Je t'attends, ô ma belle Romaine.
Chez toi, dans cet asile où le soir nous ramène,
Seul je mourrais d'attendre et tu ne venais pas.
Mon coeur en palpitant a reconnu tes pas.
Cette molle ottomane...
Ces glaces, tant de fois belles de ta présence,
Ces coussins odorants, d'aromates remplis
Sous tes membres divins tant de fois amollis,
Ces franges en festons, que tes mains ont touchées,
Ces fleurs dans ces cristaux par toi-même attachées,
L'air du soir si suave à la fin d'un beau jour,
Tout embrasait mon sang : tout mon sang est amour.
Non, plus de feux jamais, non, jamais plus d'ivresses
N'ont chatouillé ce coeur affamé de caresses.
Je veux rassasier cet amour indompté
De la nudité... qui seule est la beauté.
Je veux que sur mon sein et plus qu'à demi nue,
Tu repaisses mes sens d'une si belle vue.
Viens encore opposer à mes brûlants transports
De tes envieux la lutte et les efforts,
Ou ton ordre... ou ta douce prière,
Ou du lin ennemi la jalouse barrière.
Mes bras, plus que les tiens agiles et pressants,
Forceront le rempart de tes bras impuissants.
Mes baisers, sur ta bouche ou timide ou colère,
Repousseront ton ordre ou ta douce prière.
Robe, lin, ces gardiens de tes charmes si beaux,
Sous mes fougueuses mains voleront en lambeaux.
A ma victoire alors toute entière livrée,
Il faudra bien céder à te voir adorée,
Lorsque pour se couvrir enfin tous tes appas
N'auront que mes fureurs et ma bouche et mes bras.
in Poésies de Chénier - Elegies (Ed. Le Livre Club du Libraire, 1957) - p. 167-168