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Mon Lou, mon Coeur, mon Adorée
Je donnerais dix ans et plus
Pour ta chevelure dorée,
Pour tes regards irrésolus,
Pour la chère toison ambrée

 

Plus précieuse que n’était
Celle-là dont savait la route,
Sur la grand-route du Cathai
Qu’Alexandre parcourut toute,
Circé que son Jason fouettait. (1)

 

Il la fouettait avec des branches
De laurier-sauce ou d’olivier.
La bougresse branlait des hanches
N’ayant plus rien à envier
En faveur de ses fesses blanches.

 

Ce qu'à la Reine fit Jason
Pour ses tours de sorcellerie,
Pour sa magie et son poison,
Je te le ferai ma chérie
Quand serons seuls à la maison.

 

Je t'en ferai bien plus encore :
L'amour, la schlague (2) et cotera.
Un cul sera noir comme un Maure
Quand ma maîtresse arrivera.
Arrive, ô mon Lou que j'adore !

 

Dans la chambre de volupté
Où je t'irai trouver à Nîmes,
Tandis que nous prendrons le thé,
Pendant le peu d'heures intimes,
Que m'embellira ta beauté

 

Nous ferons cent mille bêtises...
Malgré la guerre et tous ses maux
Nous aurons de belles surprises :
Les arbres en fleur, les Rameaux,
Pâques, les premières cerises...

 

Nous lirons dans le même lit,
Au livre de ton corps lui-même
- C'est un livre qu'au lit on lit -
Nous lirons le charmant poème
Des grâces de ton corps joli.

 

Nous passeons de doux dimanches
Plus doux que n'est le chocolat,
Jouant tous deux au jeu des hanches.
Le soir, j'en serai raplapla,
Tu seras pâle aux lèvres blanches.

 

Un mois après tu partiras...
La nuit descendra sur la terre.
En vain, je te tendrais les bras,
Magicienne du mystère,
Ma Circé, tu disparaîtras...

 

Où t'en iras-tu, ma jolie ?
A Paris, dans la Suisse ou bien
Au bord de ma Mélancolie :
Que jamais, jamais on n'oublie ?

 

Alors sonneront, sonneront
Les trompettes d'artillerie.
Nous partirons et ron et ron
Petit patapon, ma chérie,
Vers ce que l'on appelle le Front.

 

J'y ferai, qui sait ? des prouesses
Comme font les autres poilus,
En l'honneur de tes belles fesses,
De tes doux yeux irrésolus
Et de tes divines caresses.

 

Mais en attendant, je t'attends,
J'attends tes yeux, ton cou, ta croupe...
Que je n'attende pas longtemps
De tes beautés la belle troupe
M'amie aux beaux seins palpitants.

 

Et viens-t'en donc puisque je t'aime
Je le chante sur tous les tons...
... Ciel nuageux... la nuit est blême...
La lune chemine à tatons...
Une abeille sur de la crême...

 

(1)  Circé, magicienne et reine des métamorphoses, possède un puissant pouvoir de purification, c’est vers elle que les Dieux enverront Jason et Médée pour purifier cette dernière du meurtre de son frère.
(2)  peine disciplinaire usitée dans certaines armées étrangères et qui consiste en des coups de baguette
© Guillaume Apollinaire
4 février 1915 - in Poèmes à lou - Alcool