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Ma mignarde nymphelette

Olivier Magny

Ma mignarde nymphelette,
Ma nymphe mignardelette,
Ma petite dont les yeux
Semblent deux astres des cieux,
Je te supplie, ma mignonne, Ma mignonnette
Dione (1), Je te supplie par la foi,
Par la foi que je te dois,
Que tu me donnes, maîtresse,
De ta bouche enchanteresse,
Mille et mille baisers or',
Et mille milliers encor'.

Non tels qu’en donne à son père,
Non tels qu’en donne à son frère
La Vierge que Cupidon
N’enflamme de son brandon (2) :
Mais tels qu’une gaie épouse,
De son cher époux jalouse,
Les donne à son cher époux,
S’asseant sur ses genoux,
Ou bien tels qu’une pucelle
Qui brûle de l’étincelle
De l’amour, donne à l’amant
Qu’elle aime parfaitement.
Donne donc, ma mignonnette,
Ma mignonne camusette (3),
Mille et mille baisers or',
Et mille milliers encor'.

Demi-dieu, je tressautte d'aise
Quand tant de fois je te baise,
Et quand tant et tant de fois
Ce doux aise je reçois :
Si douce et douce est l'haleine
Par qui j'adoucie ma peine,
Et si douce est la liqueur
Qu'elle épand dedans mon coeur.
Donne donc, ma mignonnette,
Mille et mille baisers or',
Et mille milliers encor'.

Je hais de baiser ces marbres,
Ces peintures et ces arbres
Transformés en mille lieux
En mille images des dieux.
Ta seule bouche m'appâte,
Ta seule bouche me flatte,
Et seule elle peut charmer
Mon ennui le plus amer.

Donne donc, ma mignonne,
Ma mignonnette Dione (1),
Mille et mille baisers or',
Et mille milliers encor':
Et me darde ta languette,
Ta languette vermeillette,
Comme, mignarde, tu fais
En nos passe-temps plus gais.
Dieu devenu, ce me semble,
Les plus grands dieux je ressemble
Quand je la sens frétiller,
Quand je la puis mordiller
Ou dans mes lèvres décloses,
Ou sur tes lèvres de roses
Ressuçant, dessus son bout
Tant de mannes de bon goût.
Ainsi que les tourterelles,
Ainsi que les colombelles
Quand, au printemps florissant,
Sur un arbre verdissant,
Leurs becs elles s'entr'opposent,
Leurs becs elles s'entr'arrosent,
De leurs baisers moitement,
Murmurant doucettement.

Dressons donc ma Nymphelette,
Ma nymphe mignardelette,
Mille petits jeux mignard
Et mille autres frétillards.

Quand je te dirai, friande,
Repais moi de la viande
De quoi Ganymède (4) aux cieux
Repait le père des dieux,
Viens t'en de ta bouche tendre,
Viens t'en sur la mienne épandre,
Pour me paître et m'apaiser,
Le nectar d'un doux baiser.

Le nectar et l'Ambroisie,
Qui Jupiter rassasie,
Ne saurait paître mon coeur
D'une plus douce liqueur.

Là donc, petite friande,
Repais moi de la viande
De quoi Ganymède aux cieux
Repait le père des dieux :
Et la bouchelette tienne
Couche à plat dessus la mienne,
Laissant folâtrer ma main
Sous le voile de ton sein,
Ou entre tes deux pommettes,
Ou sur tes deux fraisettes,
Puis redoublant ces ébats,
Folâtrer encor' plus bas,
Et d'une main plus hardie
Tâter ta cuisse arrondie,
Ton ventrelet arrondi,
Et ton petit rebondi,
Si bien que l'aube vermeille,
Ou Phebus (5), dès qu'il s'éveille,
Folâtrant nous puisse voir
Du matin jusqu'au soir.

 

 

(1) version féminine de Zeus en grec. Elle apparaît au chant V de l’Iliade : c'est auprès d'elle que se réfugie Aphrodite, blessée au cours du combat par Diomède.
(2) flambeau de paille
(3) embarrassée, interdite
(4) amant de Zeus
(5)second nom d'Apollon

in La Muse lascive (Ed. José Corti, 2007) - p. 62 à 65