Partager |
I

Accoudée en silence aux créneaux de la tour,
La Reine aux cheveux bleus serrés de bandelettes,
Sous l'incantation trouble des cassolettes,
Sent monter dans son cœur ta mer, immense Amour.

Immobile, sous ses paupières violettes
Elle rêve, pâmée aux fuites des coussins ;
Et les lourds colliers d'or soulevés par ses seins
Racontent sa langueur et ses fièvres muettes.

Un adieu rose flotte au front des monuments.
Le soir, velouté d'ombre, est plein d'enchantements ;
Et cependant qu'au loin pleurent les crocodiles,

La Reine aux doigts crispés, sanglotante d'aveux,
Frissonne de sentir, lascives et subtiles,
Des mains qui dans le vent épuisent ses cheveux.

II

Lourde pèse la nuit au bord du Nil obscur...
Cléopâtre, à genoux sous les astres qui brûlent,
Soudain pâle, écartant ses femmes qui reculent,
Déchire sa tunique en un grand geste impur,

Et dresse éperdument sur la haute terrasse
Son corps vierge, gonflé d'amour comme un fruit mûr.
Toute nue, elle vibre ! et, debout sous l'azur,
Se tord, couleuvre ardente, au vent tiède et vorace.

Elle veut, et ses yeux fauves dardent l'éclair,
Que le monde ait, ce soir, le parfum de sa chair...
O sombre fleur du sexe éparse en l'air nocturne !

Et le Sphynx, immobile aux sables de l'ennui,
Sent un feu pénétrer son granit taciturne ;
Et le désert immense a remué sous lui...
Au jardin de l'infante (1893)  - Ed. du Panthéon, 1945 - expl n° 1722/2000 -