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Sur le mamelon du Calvaire,
Comme tétine sur téton,
Se détachent, patibulaires,
Les trois gibets de la Passion.

La croix la plus haute s'élance
Au milieu, comme un bras d'honneur.
Deux autres, de moindre importance,
Lui arrivent à mi-hauteur.

Quand la plus grande, hier au soir,
Banda vers le ciel sans nuages,
Tous les témoins ont pu le voir,
Ce fut un beau remue-ménage !

Comme la lampe s'éteint pour
Que l'Époux l'Épouse culbute,
Le soleil devint, en plein jour
Plus poussiéreux qu'un sac de jute !

Des brouillards se sont amassés
Pour cacher le coït céleste,
Comme des rideaux damassés
Sur un lit que souille l'inceste.

Telle une couche à coups de reins,
La terre a tremblé sous l'orage,
Et le voile du Temple saint
S'est fendu comme un pucelage !

Le père a consommé le Fils,
Il s'est repu de son sang vierge,
Comme une pute à Saint-Denis
Boit le sperme au bout d'une verge.

Et pourtant la Croix bande encore !
Entre celles des deux larrons,
On dirait, aux feux de l'aurore,
Une pine entre deux roustons !

La Sainte Vierge, Madeleine
Et saint-Jean, le petit giton,
Vêtus de lin, couverts de laine,
Se posent la même question :

Quel Dieu, quel moissonneur céleste,
Ou plutôt quel Semeur paillard
A planté, d'un superbe geste,
Sur ce mont ces trois braquemarts ?

 

© Pierre Gripari
in L'enfer de poche, poèmes libertins (Ed. L'Age d'Homme, 1981)