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Mignarde, vous avez grand tort
D'appeller Hercule à la mort,
A la mort d'une pucelette,
Qui tant mignardement furette,
Comme un petit surion (1) d'Essain
Sur les roses de votre sein.
Je veux, je veux qu'on vous appelle
Du nom de belle et de cruelle,
Qui pour si petit animal
Invoquez Hercul chasse-mal ;
Animal dont la petitesse
Passe des autres la grandesse,
Soit qu'on fasse comparaison
Des parcelles de la raison,
De la souplesse ou de l'astuce
Qui recommande cette Puce.

Belle, si vous aimez le beau,
Voyez quelle gentille peau :
Ne diriez-vous pas qu'elle est teinte
Ou des couleurs de l'Hyacinthe
(Hyacinthe honneur des beaux mois),
Ou de pourpre, couleur de Rois ?

Vraiment si la trouvez gentille,
Sa proportion plus subtile
Vous doit inciter à pitié,
Pour lui porter quelque amitié,
Si comme vous mignardelette,
Elle est prompte, polie et nette.

Laissez vous piquer un petit,
Sus, la voila en appétit,
Voyez, belle, voyez, mignarde,
Comme un éguillon elle darde,
Eguillon en long eguisé,
Et qui pourtant est pertuisé, (2)
Pour couler la douce ambrosie,
Qu'en votre sein elle a ravie.
Je ne la saurais accuser,
Sinon d'avoir l'heur (3) de baiser
Si longtemps cette peau tendrette,
Qui un tel bonheur ne me prête.

Mais, Puce, je t'excuse bien,
Car par toi nous goûtons le bien
De mille amoureuses délices,
Quand dans un beau sein tu te glisses,
Et sais les premiers fruits ravir
Des filles neuves au plaisir,
Tantôt en baisottant leur face,
Or suçotant en autre place,
Apprenant à l'homme grossier
Comme il faut l'amour varier.

Encore que Venus s'en fâche,
Je veux que tout le monde sache
Que la Puce eut l'honneur premier
D'inventer le mignard baiser,
Baiser qu'encor Amour farouche
N'allait suçant dessus la bouche,
Et que Venus n'eut su sucrer,
S'elle n'eut vu la Puce encrer
Sa petite bouche ebenine (4)
Sur la moite joue Adonine.
Depuis la gentille Cypris,
Ayant le glout (5) baiser appris
D'une larronnesse languette,
Languette mutuelle et moette,
Sut bien à l'envie du Ciel
Coller deux bouchettes de miel.

Que dirais-je de sa saignée
Qui par elle fut enseignée ?
N'en déplaise à l'antiquité,
La Puce a l'honneur mérité,
Et non le cheval qui se treuve
Aux bras de l'Egyptien fleuve :
Car la Puce, tant seulement
Avec un doux chatouillement,
Tire sans aucune ouverture
Le sang ennemi de nature.

O petit animant heureux,
Utile aux hommes et aux Dieux,
Si or je t'ai sauvé la vie
Des mains de ma douce ennemie,
Et si je t'ai fait tant d'honneur
D'être de deux biens inventeur,
Suce de ma maîtresse belle
Ce gros sang qui la rend rebelle,
Si qu'ayant rapuré son sang
D'un courage amoureux et franc.
D'un œil semonneur elle attise
Le doux feu de ma convoitise,
Et qui ne se puisse appaiser
Que par la langueur d'un baiser.

(1) cordonnier ?
(2) percé
(3) bonheur
(4) rouge foncée (de l'ébène)
(5) glouton ?

 

in La Puce de Madame Desroches  ( 1583 - Ed. D. Jouaust, 1868 - p. 43-47)