Partager |

Des déesses et des mortelles,
Quand ils font voir les charmes nus,
Les sculpteurs grecs plument les ailes
De la colombe de Vénus.
 
Sous leur ciseau s’envole et tombe
Le doux manteau qui la revêt,
Et sur son nid froid la colombe
Tremble sans plume et sans duvet.
 
Ô grands païens, je vous pardonne !
Les Grecs enlevant au contour
Le fin coton que Dieu lui donne
Otaient son mystère à l’amour ;
 
Mais nos peintres tondant leurs toiles
Comme des marbres de Paros
Fauchent sur les beaux corps sans voiles
Le gazon où s’assied Eros.

Pourtant jamais beauté chrétienne
N’a fait à son trésor caché
Une visite athénienne,
La lampe en main, comme Psyché.
 
Au soleil tirant sans vergogne
Le drap de la blonde qui dort,
Comme Philippe de Bourgogne,
Vous trouveriez la Toison d’Or ;
 
Et la brune est toujours certaine
D’amener au bout de son doigt,
Pour le diable de La Fontaine,
Le cheveu que rien ne rend droit.

Aussi, j’aime tes courtisanes
Et tes nymphes, ô Titien,
Roi des tons chauds et diaphanes,
Soleil du ciel vénitien.
 
Sous une courtine pourprée
Elles étalent bravement,
Dans sa pâleur mate et dorée,
Un corps superbe où rien ne ment.
 
Une touffe d’ambre soyeuse
Veloute, sur leur flanc poli,
Cette envergure harmonieuse
Que trace l’aine avec son pli.
 
Et l’on voit sous leurs doigts d’ivoire,
Naïf détail que nous aimons,
Germer la mousse blonde ou noire
Dont Cypris tapisse ses monts.
 
À Naple ouvrant ses cuisses rondes,
Sur un autel d’or, Danaé
Laisse du ciel, en larmes blondes,
Pleuvoir Jupiter monnayé.
 
Et la Tribune de Florence
Au cant choqué montre Vénus
Baignant avec indifférence,
Dans son manchon, ses doigts menus.

Maître, ma gondole à Venise
Berçait un corps digne de toi
Avec un flanc superbe où frise
De quoi faire un ordre de roi.
 
Pour rendre sa bonté complète,
Laisse-moi faire, ô grand vieillard,
Changeant mon luth pour ta palette,
Une transposition d’art.
 
Oh ! comme dans la rouge alcôve,
Sur la blancheur de ce beau corps,
J’aime à voir cette tache fauve
Prendre le ton bruni des ors
 
Et rappeler, ainsi posée,
L’Amour sur sa mère endormi,
Ombrant de sa tête frisée
Le beau sein qu’il cache à demi.

Dans une soie ondée et rousse,
Le fruit d’amour y rit aux yeux,
Comme une pêche sur la mousse
D’un paradis mystérieux.

Pomme authentique d’Hespéride,
Or crespelé, riche toison,
Qu’aurait voulu cueillir Alcide
Et qui ferait voguer Jason !

Sur ta laine annelée et fine
Que l’art toujours voulut raser,
Ô douce barbe féminine,
Reçois mon vers comme un baiser,

Car il faut des oublis antiques
Et des pudeurs d’un temps châtré
Venger dans des strophes plastiques,
Grande Vénus, ton mont sacré.

 

Note : citons un avis de Pierre Louys sur la question des poils dans les oeuvres présentées aux musées : "Ne crayonnez pas des boucles noires sur le pubis des Vénus nues. Si l'artiste représente la déesse sans poils, c'est que Vénus se rasait la motte." (in Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d'éducation)

cité in Poésies de Th. Gautier qui ne figureront pas dans ses œuvres (Imp. particulière - Bruxelles, 1873) - p. 33 à 36
Cette pièce faisait partie du recueil Émaux et Camées (1852) et fut retirée, avant publication, par l'auteur lui-même.