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Elle demeure en son palais...

Renée Vivien
Elle demeure en son palais, près du Bosphore,
Où la lune s'étend comme en un lit nacré...
Sa bouche est interdite et son corps est sacré,
Et nul être, sauf moi, n'osa l'étreindre encore.

Des nègres cauteleux la servent à genoux...
Humbles, ils ont pourtant des regards de menace
Fugitifs à l'égal d'un éclair roux qui passe...
Leur sourire est très blanc et leurs gestes sont doux...

Ils sont ainsi mauvais parce qu'ils sont eunuques
Et que celle que j'aime a des yeux sans pareils,
Pleins d'abîmes, de mers, de déserts, de soleils,
Qui font vibrer d'amour les moelles et les nuques.

Leur colère est le cri haineux de la douleur...
Et moi, je les excuse en la sentant si belle,
Si loin d'eux à jamais, si près de moi... Pour elle,
Elle les voit souffrir en mordant une fleur.

J'entre dans le palais baigné par l'eau charmante,
Où l'ombre est calme, où le silence est infini,
Où, sur les tapis frais plus qu'un herbage uni,
Glissent avec lenteur les pas de mon amante.

Ma Sultane aux yeux noirs m'attend, comme autrefois.
Des jasmins enlaceurs voilent les jalousies...
J'admire, en l'admirant, ses parures choisies,
Et mon âme s'accroche aux bagues de ses doigts.

Nos caresses ont de cruels enthousiasmes
Et des effrois et des rires de désespoir...
Plus tard une douceur tombe, semblable au soir,
Et ce sont des baisers de soeur, après les spasmes.

Elle redresse un pli de sa robe, en riant...
Et j'évoque son corps mûri par la lumière
Auprès du mien, dans quelque inégal cimetière,
Sous l'ombre sans terreur des cyprès d'orient.
© Renée Vivien
in Flambeaux éteints (1907)