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Tous les grands carnassiers et les superbes fauves
Qui, dans le bois natal, allaient, le muffle au vent,
S'étalent sur le lit et le large divan,
Et leur odeur se mêle aux parfums des alcôves.

Ils suivent maintenant de leur regard félin
L'Amoureuse au corps nu qui s'en va par la chambre.
Mirant dans les miroirs son torse qui se cambre
Avant qu'elle ne dorme entre les draps de lin.

Ils suivent, fascinés, de leurs grands yeux d'agate,
Celle qu'ils auraient pu broyer si puissamment,
Et qui rève ce soir à son dernier amant
Auprès de l'âtre clair à la flamme écarlate.

Le foyer frémissant noue et dénoue encor
Ses hydres de lumière et ses reptiles d'ombre
Qui luttent sans merci dans un croulant décombre,
Et la pourpre pétille entre les tisons d'or.

L'Amoureuse a voulu ce bestial trophée
Pour que l'odeur du meurtre exalte son amour,
Que l'instinct primitif la terrasse à son tour
Entre les bras puissants qui l'auront étouffée...

Et les fauves sont là : les tigres miaulants
Dont la gueule muette est pour jamais un râle,
Leur corps rayé de jaune est doux à sa chair pâle
Et, sombre, accuse mieux la blancheur de ses flancs.

Le tapis triomphal qu'offrent les ours du pôle
Laisse voir seulement, de son pied si petit,
L'ongle, feuille de rose en la neige blotti.
Un beau lion farouche est contre son épaule.

Un sauvage parfum émane des toisons
Qu'on écorche aux pays primitifs de la terre.
Car le silence est plein d'un terrible mystère.
Et derrière les murs on sent les horizons.

(...)

Les tigres onduleux au poil plein d'étincelles
Dorment, écartelés, avec les lionceaux :
Les dentelles sur eux s'écroulent par monceaux,
Et tous hument l'odeur ardente des aisselles...

O fauves ! dont la force était la liberté,
Mais qu'une lampe baigne à peine de lumière,
Une femme vous veut, étrange bestiaire,
Pour attester ta force éternelle, ô beauté !

Allez-vous d'un seul coup, elle qui semble frêle,
La prendre, la meurtrir dans vos griffes de fer,
Et faire enfin jaillir tout le sang de sa chair,
Fauves, puisque jadis vous êtes morts pour elle ?

Allez-vous, quand l'étreinte aux bras de son amant
La fera tressaillir, amoureuse et pâmée,
À leurs faces souffler votre haleine enflammée,
Pour que leur volupté sache un autre tourment ?

O fauves ! allez-vous ressusciter dans l'ombre,
Pour que leurs lèvres soient rouges d'un autre fard,
Afin que le désir qui flambe en leur regard
S'éteigne dans l'horreur du sépulcre plus sombre ?...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Non ! vous avez connu la souffrance et la mort !
Mais la femme a souri dans sa gloire éternelle,
Et vous ne bougez pas, car vous voyez en elle
Le plus cruel félin de tous et le plus fort !
© Gabriel Volland
Extraits, in Le Parc Enchanté - prix national de poésie en 1908.