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Lamentation d’un poil de cul de femme

Jules Verne
Il est dur lorsque sur la terre
Dans le bonheur on a vécu
De mourir triste et solitaire
Sur les ruines d’un vieux cul.
Jadis dans un forêt vierge,
Je fus planté, sur le versant
Qu’un pur filet d’urine asperge,
Et parfois un filet de sang.

Alors dans ce taillis sauvage,
Les poils poussaient par mes sillons,
Et sous leur virgianl ombrage,
Paissaient de jolis morpions.
Destin fatal un doigt nubile
Un soir par là vint s’égarer,
Et de sa phalange mobile
Frotter, racler et labourer.

Bientôt au doigt le vit sucède,
Et, dans ses appétits ardents,
Appelant la langue à son aide ;
Il nous déchire à belle dents.
J’ai vu s’en aller nos dépouilles
Sur le fleuve des passions,
Qui prend sa source - dans les couilles,
Et va se perdre dans les cons.

Hélas ! l’épine est sous la rose,
Et la pine sous le plaisir
Bientôt au bord des exostoses,
Des chancres vinrent à fleurir.
Les coqs de leur crête inhumaine
Se parent dans tous les chemins :
Dans le département de l’Aine
Gambadent les jeunes poulains.

Mais, quand le passé fut propice,
Pourquoi songer à l’avenir ?
Et qu’importe la chaudepisse
Quand il reste le souvenir ?
N’ai-je pas vu tous les prépuces,
Avoir chez nous un libre accès,
Alors même qu’ils étaient russes,
Surtout quand ils étaient français.

J’ai couvert de mon ombre amie
La grenette de l’écolier,
Le membre de l’Académie,
Et le vit du carabinier.
J’ai vu le vieillard phosphorique,
Dans un effort trop passager,
Charger avec son dard étique,
Sans parvenir à décharger.

J’ai vu – mais la motte déserte
N’a plus de flux ni de reflux,
Et la matrice trop ouverte,
Attend vainement le phallus.
J’ai perdu, depuis une année,
Mes compagnons déjà trop vieux,
Et mes beaux poils du périnée
Sont engloutis dans divers lieux.

Aux lèvres des jeunes pucelles,
Croissez en paix, poils ingénus.
Adieu, mes cousins des aisselles,
Adieu, mes frères de l’anus !
J’espérais à l’heure dernière,
Me noyer dans l’eau des bidets,
Mais j’habite sur un derrière
Qu’hélas on ne lave jamais.

- Il eut parlé longtemps encore,
Lorsqu’un vent vif précipité,
Broyant, mais non pas inodore,
Le lança dans l’éternité.
Ainsi tout retourne dans la tombe,
Tout ce qui vit, tout ce qui fut,
Ainsi tout change ainsi tout tombe,
Illusions…et poils de cul.

in Textes oubliés de Jules Verne (Ed. U.G.E. par Francis Lacassin, collection 10/18 - n° 1294)

Publié anonymement dans le Nouveau Parnasse satyrique, ce poème a été écrit en 1854 ou 1855, mais ne fut attribué à Jules Verne qu'en 1881.