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(...)

Ma nourrice me prenait dans ses bras
À douze ans, j'étais aussi grand qu'elle
Mais jamais encore tenu dans ma bouche
La pointe ronde et noire de ses beaux seins lourds
Nous nous étendions derrière les cannes
Le vent bruissait parmi leurs feuilles longues
Aiguës et poudrées de soie rêche
Ma nourrice était toujours nue
Et moi, toujours déshabillé
Aussi, nous nous entendions bien
Elle avait une odeur sauvage
Et des dents blanches plein la figure
La terre sentait l'orbenipellule
Et des fleurs de Kongo brûlant
Nous recouvraient de leur pollen orangé

Pendant trois saisons, j'ai eu douze ans,
Parce que j'aimais tant ma nourrice,
Je ne pouvais la quitter.
Ma peau prenait des reflets bruns
Brûlée au sol de la sienne
Je la touchais avec toutes mes mains ensemble
Les mains de mes yeux, celles de mon corps
Et nos membres fumaient dans l'air veiné de noir.

Je ne sais pas comment deux allumettes
Peuvent s'emmêler, mais je sais
Que nous étions bien droits l'un contre l'autre
Comme deux allumettes; et au bout d'un instant
Un chat n'y aurait pas retrouvé ses petits...

D'ailleurs
Il savait bien que ses petits n'étaient pas là.
© Boris Vian
Extrait - in Cantilènes en gelée (1949)