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(...)

Sommeil ! écoute-moi : je parlerai bien bas :
Sommeil - Ciel-de-lit de ceux qui n'en ont pas !

Toi qui planes avec l'Albatros des tempêtes,
Et qui t'assieds sur les casques-à-mèche honnêtes !
SOMMEIL ! - Oreiller blanc des vierges assez bêtes !
Et Soupape à secret des vierges assez faites !
- Moelleux Matelas de l'échine en arête !
Sac noir où les chassés s'en vont cacher leur tête !
Rôdeur de boulevard extérieur ! Proxénète !
Pays où le muet se réveille prophète !
Césure du vers long, et Rime du poète !

SOMMEIL ! - Loup-Garou gris ! Sommeil Noir de fumée !
SOMMEIL ! - Loup de velours, de dentelle embaumée !
Baiser de l'Inconnue, et Baiser de l'Aimée !
- SOMMEIL ! Voleur de nuit ! Folle-brise pâmée !
Parfum qui monte au ciel des tombes parfumées !
Carrosse à Cendrillon ramassant les Traînées !
Obscène Confesseur des dévotes mort-nées !

(...)

Toi qui, le rideau bas, viens lâcher la ficelle
Du Chat, du Commissaire, et de Polichinelle,
Du violoncelliste et de son violoncelle,
Et la lyre de ceux dont la Muse est pucelle !

GRAND Dieu, Maître de tout ! Maître de ma Maîtresse
Qui me trompe avec toi - l'amoureuse Paresse -
O bain de voluptés ! Éventail de caresse !

(...)

GRAND fleuve où Cupidon va retremper ses dards
SOMMEIL ! - Corne de Diane, et corne du cornard !
Couveur de magistrats et Couveur de lézards !
Marmite d'Arlequin  ! - bout de cuir, lard, homard -
SOMMEIL ! - Noce de ceux qui sont dans les beaux-arts.

BOULET des forcenés, Liberté des captifs !
Sabbat du somnambule et Relai des poussifs !-
SOMME ! Actif du passif et Passif de l'actif !
Pavillon de la Folle et Folle du poncif !...
- Ô viens changer de patte au cormoran pensif !
Ô brun Amant de l'Ombre ! Amant honteux du jour !
Bal de nuit où Psyché veut démasquer l'Amour !
Grosse Nudité du chanoine en jupon court !
Panier-à-salade idéal ! Banal four !
Omnibus où, dans l'Orbe, on fait pour rien un tour !

SOMMEIL ! Drame hagard ! Sommeil, molle Langueur !
Bouche d'or du silence et Bâillon du blagueur !
Berceuse des vaincus ! Perchoir des coqs vainqueurs !
Alinéa du livre où dorment les longueurs !

DU jeune homme rêveur Singulier Féminin !
De la femme rêvant pluriel masculin !

(...)

TOI qui souffles dessus une épouse enrayée,
RUMINANT ! dilatant ta pupille éraillée ;
Sais-tu ?... Ne sais-tu pas ce soupir - LE RÉVEIL ! -
Qui baille au ciel, parmi les crins d'or du soleil
Et les crins fous de ta Déesse ardente et blonde ?...
- Non ?... - Sais tu le réveil du philosophe immonde
- Le Porc-rognonnant sa prière du matin ;
Ou le réveil, extrait-d'âge de la catin ?...

(...)
Extraits - in Les Amours jaunes (ÉD. Chez Glady frères, 1873)
Section "Lits divers"