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Eh ! oui, jaloux ! je suis jaloux,
Ce que l’on peut appeler comme
Une kyrielle de loups,
Mais ce n’est pas certes d’un homme

Car je suis jaloux de la mer !
De la vaste mer amoureuse
Dont le flot qu’on prétend amer
Possède une âme langoureuse…

À l’ombre des cabines, près
De l’eau verte qui te flagelle,
Et plus morose qu’un cyprès
Sous le vent du Nord qui me gèle,

O ma baigneuse, j’admirais
Ton corps si beau dans son costume,
Que le flot où tu te mirais
Croyant à la Vénus posthume,

Vint lécher, lui, le flot altier,
Tes pieds que tu recroquevilles
Et river, galant bijoutier,
De clairs anneaux à tes chevilles.

Ensuite, à ton mollet cambré
Voulant nouer sa jarretière,
Il trama sur le derme ambré
Un maillot pour la cuisse altière.

Prodiguant son baiser salin,
Et sans pitié de nos tortures,
Toujours montant, le flot câlin
Te mit aux hanches des ceintures.

Or, soudain commença l’assaut
De ta poitrine demi-nue ;
La vague écumante, d’un saut,
Bondit de la croupe charnue

Et resta surprise devant
Le flot de ta gorge qu’azure
Un fin réseau ; lors, me bravant,
L’audacieuse prit mesure

Pour un corset… Tes seins jaseurs
Interrompirent leurs harangues
En voyant ces étranges sœurs
Les darder de leurs mille langues.

Plus indiscret qu’un amant,
La vague aux lesbiennes ivresses
T’enveloppait étonnamment
De ses infécondes caresses…

Puis la mer enfin t’engloutit
Enamourée, âpre, béante ,
Te roulant pâmée en son lit
D'un baiser de Sapho géante.
in Rimes de Joie (1882)