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Dans la chambre est assise,
Mollement indécise,
Une dame aux yeux verts
Qui lit des vers.

La clarté de la lampe
Vient jouer sur sa tempe,
Et fait briller ses yeux
Mystérieux.

À côté d'elle éclate
Une fleur écarlate,
Dans un mince et changeant
Vase d'argent.

Le chat qu'elle protège,
Aussi blanc que la neige,
Rêve sur des coussins
Aux grands dessins.

Sur les chenets de l'âtre
Rit la flamme folâtre
Et s'embrase le feu
Vermeil et bleu.

Dans tout ce qui l'entoure
La Liseuse savoure
Les beaux luxes qui font
L'oubli profond.

Elle boit la meilleure
Tranquillité de l'heure,
Ainsi que les gourmets
Un doux vin. Mais

Tout à coup, quelque chose
Touche sa bouche rose
Et baise, en mille jeux,
Son sein neigeux.

Quel est l'esprit farouche
Qui baise cette bouche
Et palpite, ingénu,
Sur le sein nu ?

C'est la belle Strophe ivre
Qui s'échappe du livre,
En arrachant son flanc
Du feuillet blanc,

Et s'évade frivole,
Et vole, vole, vole,
Murmurant à l'entour:
Amour! Amour!

Sous la folle caresse
Troublée en sa paresse,
La songeuse qui lit
Soudain pâlit;

On voit, pleine d'extase,
Tressaillir dans le vase
Même la fleur de sang;
Et le chat blanc

S'étire dans le vide,
Ouvre sa bouche avide
Et laisse voir les dents
Qui sont dedans,

Sentant, subtile bête!
Qu'au-dessus de sa tête,
Près de son fin museau
Passe un oiseau.

 

in Nous Tous (1884)