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C'était une maison quelconque, dans un coin,
Sans rien de pittoresque
Qu'un très gros numéro qui se voyait de loin
Tel un séant tudesque.

La maison où j'entrai, sur la foi du Gil Blas,
Pour finir mes études
À la fin d'obtenir de dame Babylas
Mon brevet d'aptitudes.

Une fois introduit en cet intérieur,
Me dit cette voltige :
"Voulez-vous assister au cours supérieur ?
- Bien sûr", lui répondis-je.

Lors elle m'installa sans perdre un instant
Derrière une lucarne
Par laquelle je vis - me sembla - s'agitant
Une confuse carne :

Comme des asticots perdus dans les brouillards,
Enfants, viellard et femmes
Charognaient à l'envie, faisaient leurs débrouillards
En des coïts infâmes.

Et je vis tout d'abord un macrobien pourri
En peignoir blanc et rose
- Telle dans un sérail une jeune houri
La paupière mi-close ;

Et tandis qu'on lui façonnait à la main...
Des cigarettes turques,
Des éphèbes vêtus seulement de carmin
Lui dansaient des mazurques.

Un autre, sur un lit se faisait inculquer
Une étrange langue,
On l'entendait gémir, suer et suffoquer
Et devenir exsangue.

Celui-ci réclamait un peu de bon lolo,
Alors une chamelle
Sans nul rapport avec la Vénus de Milo
Lui tendait sa mamelle.

Celui-là reniflait avec des grognements
De volupté béate,
Des linges anciens, de futurs lavements,
De récente charpiate.

J'en vis un affamé plus que n'est un moineau
- Voilà qui tient du diantre ! -
Qui me parut manger tout simplement une o-
- Melette avec son ventre ;

Un autre se faisait lécher du haut en bas
Ainsi qu'une tartine,
Cependant qu'une garce ayant gardé ses bas
Leur lisait Lamartine.

Des vieillards bien plus vieux qu'on ne peut souhaiter,
À terre, à quatre pattes,
Poussant de petits cris et se faisant fouetter,
Couraient comme des blattes.

Quelques-uns plongés plus avant dans un coma,
De leurs tristes lavettes
Goulûment comme ils eussent fait le pur Sôma
Buvaient l'eau des cuvettes.

Qu'est-ce que vous voulez, après tout, mon Dieu, c'est
Pour que rien ne se perde ;
Car quand je m'en allai, cet autre commençait
À manger de la merde.
in Le Courrier Français (13 septembre 1891)
 - reproduit dans le recueil La Muse au cabaret (Ed. Fasquelle, 1920)