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Dites-moi la douceur que vous avez connue
A la tenir longtemps en vos bras, lasse et nue,
Après la longue attente et l'inquiet désir,
Comment vos mains savaient doucement la servir
Et, promptes, dénouer d'une hâte inégale
La ceinture flexible et l'étroite sandale,
Tandis que, devant vous, docile à votre amour,
Lascive, rougissante ou grave, tour à tour,
Ses regards souriaient à la porte fermée;
Dites-moi, mon ami, que vous l'avez aimée,
Que jamais le soleil ne vous parut plus beau,
Que la terre, le ciel, le vent, la feuille, l'eau,
Vous semblaient pleins de chants, de joie et de lumière,
Qu'elle était douce, et tendre, et simple, et jeune, et fière ;
Dites-moi son visage et ses yeux et sa voix,
La fleur qu'elle tenait, vivante, entre ses doigts,
Que le jour était pur parce qu'elle était belle,
Et, lorsque jusqu'au soir vous m'aurez parlé d'elle,
Je m'en irai, et, dans la nuit, sur le chemin,
En me ressouvenant de mon printemps lointain,
Je croirai, par la vôtre à la mienne rendue,
Entendre me parler ma jeunesse perdue.
© Henri Régnier
in Le miroir des heures (1906-1910)
Ed. Mercure De France, 1921 - p.21