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Vous êtes, mon enfant, plus chaste et plus farouche
Que le lis du vallon et la rose des bois,
Et cependant j'ai vu s'attendrir votre bouche
Quand la rose et le lis s'effeuillaient de vos doigts,

Car vous savez, hélas ! que les fleurs les plus belles
D'un parfum passager embaument le printemps
Et qu'il ne survit rien de ce qui charme en elles
Quand l'automne a fané leurs contours odorants ;

Et vous savez aussi que l'âge vous mesure
La saison de l'amour et de la volupté
Et que le souvenir est ce qui reste et dure
Et de toute jeunesse et de toute beauté.

C'est pourquoi, dans un soir de délire et de fièvre,
Vous sentirez en vous votre orgueil se briser
Parce que vous voudrez que votre jeune lèvre
Connaisse la douceur qu'a le goût du baiser.

Alors, obéissante à celui qui vous aime,
Vous permettrez dans l'ombre à l'amant anxieux
Que son hardi regard apprenne de vous-même
Ce qu'en sait son désir et qu'ignorent vos yeux,

Et vous, enfant pareille aux fleurs du bois sauvage,
Sans défendre à sa main vos voiles soulevés,
Vous offrirez vous-même à l'amour en hommage
Votre rose secrète et vos lis réservés.
© Henri Régnier
in Le miroir des heures (1906-1910) -  Section "Le miroir des amants"
Ed. Mercure De France, 1921 - p.115